mercredi 16 mai 2012

*Interview* de David Cronenberg et de Don DeLillo via Le Monde (France) - 16 Mai 2012

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article du Monde
En compétition à Cannes, Cosmopolis retrace, depuis l'intérieur de sa limousine high-tech, le trajet d'un jeune magnat de la finance qui s'est mis en tête de traverser New York alors que la ville est paralysée par les embouteillages sous les effets conjoints de la visite du président des Etats-Unis, d'émeutes organisées par un mouvement anarcho-situationniste et d'un krach boursier planétaire. Produit par le Portugais Paulo Branco (producteur de Raul Ruiz, Chantal Akerman...), réalisé par le Canadien David Cronenberg (eXistenZ, A History of Violence...), le film est adapté du roman Cosmopolis, de l'écrivain américain Don DeLillo (Libra, Bruit de fond, Outremonde...), avec une fidélité frappante.
Pourquoi un cinéaste choisit-il d'adapter un roman ?
David Cronenberg : D'abord par paresse. Ecrire un scénario original peut prendre des années. Celui de Cosmopolis m'a pris six jours. Un record pour moi. C'était très étrange. Les premiers jours, j'ai transcrit les dialogues, directement dans un format scénario. Les jours suivants, j'ai ajouté les détails de l'action. Et c'est tout. J'ai relu, en me demandant si c'était bien un film. Ça l'était. Grâce à la structure des dialogues. Les dialogues de Don DeLillo sont uniques. Ils ont un rythme spécifique. Ils sont totalement réalistes, mais en même temps stylisés.
Les dialogues sont donc déterminants ?
David Cronenberg : Ils sont un élément-clé du scénario, le seul que l'on retrouve réellement à l'écran. Tout le reste change une fois en production. Les dialogues vous donnent une idée de la qualité du film. Les personnages sont-ils intéressants ? Comment interagissent-ils ?
Cette manière d'envisager le scénario peut surprendre de la part d'un auteur versé dans le cinéma de genre ?
David Cronenberg : On pense souvent que le cinéma est un art visuel. Je pense pour ma part que c'est un alliage très complexe. Pour moi, l'essence du cinéma, c'est un visage qui parle. C'est cela que nous filmons le plus. J'ai entendu dire que les vingt-deux dernières minutes du film, où il n'y a rien d'autre que Paul Giamatti et Robert Pattinson dans une pièce, c'est du théâtre. Je ne le pense pas. Au théâtre, vous n'auriez pas de gros plans, pas de mouvements de caméra, pas de changements de lumière. C'est cela le cinéma. Sans gros plans il n'y a pas de cinéma.
Que ressent de son côté l'écrivain devant cette adaptation ?
Don DeLillo : Le film est assez proche du livre. David Cronenberg l'a adapté de manière très audacieuse, sans compromis. On y retrouve beaucoup de la langue du livre, qui est souvent un peu ésotérique, notamment quand elle s'applique aux marchés financiers. Eric Packer, le personnage, parle parfois presque comme un sage chinois d'il y a deux mille ans, et on retrouve cela dans le film. Mais c'est le film.
C'est-à-dire ?
Don DeLillo : Entre les mots écrits sur le papier et leur transcription à l'écran, il y a un gouffre. Le roman a sa langue propre : vous suivez les mots, vous percevez l'effet de certains d'entre eux, de certaines combinaisons... Vous examinez les événements à travers la langue qui les décrit... Dans le film, c'est plus dense et plus compliqué. L'imagerie submerge pratiquement tout le reste. Le moment gagne en profondeur, il projette une ombre. Si deux films sont faits à trente ans d'intervalle à partir d'un même livre, ils n'auront rien à voir. Et puis à l'écran on voit de vraies personnes, qui se parlent. De faux volcans qui explosent. Un roman, ce sont des mots sur du papier. Un écrivain travaille seul, assis dans une pièce. Un réalisateur est entouré d'acteurs, d'une équipe technique, d'un producteur, de tonnes d'équipement, il tourne son film dans quatre pays, avec des centaines de figurants. Il y a une relation entre les deux formes, mais elles sont si éloignées qu'il est difficile de les mettre sur un même plan.
Comment passe-t-on du roman au film ?
David Cronenberg : Un roman, et celui-ci particulièrement, est une entité organique vivante. La question qui se pose est de savoir comment vous allez la transformer en cinéma. Il faut accepter le fait qu'on est en train de créer quelque chose de nouveau. Le film est une fusion entre vous et cet écrivain... Je pense que pour être fidèle au roman, il faut le trahir. J'ai vu des films qui cherchaient à être incroyablement fidèles aux romans, et ce n'était pas du bon cinéma à la fin. Pour ma part, je me sens très libre d'être brutal avec le livre. Si je sens que certaines scènes ne seront pas bonnes à l'écran, je les abandonne. C'est ce que j'ai fait avec tous les extraits du journal de Benno, le personnage qu'interprète Paul Giamatti. Un monologue est typiquement une forme romanesque. Au cinéma, on ne peut rien en faire, à moins de le faire lire en voix off. Mais, pour moi, c'est un aveu de faiblesse. Vous n'avez pas trouvé la manière de faire un vrai film à partir du livre, alors vous le faites lire par un acteur.
Pour autant, on a le sentiment que l'essentiel du livre a été conservé.
David Cronenberg : La structure est la même : un homme traverse New York dans sa limousine, pour aller chez son coiffeur. Les dialogues viennent directement du livre, à peu de choses près. Mais il y a toutes sortes de divagations philosophiques d'Eric Packer que j'ai laissées de côté. Je ne voyais pas comment les mettre en scène. On ne peut pas filmer un concept. On ne peut filmer que du concret. Je ne renonce pas à retrouver la texture du roman. Je la restitue avec des moyens cinématographiques : le choix de l'objectif, de la lumière, de la musique, le design de la limousine. C'est un troc. On n'a plus le journal de Benno, mais on a Paul Giamatti, son visage, sa voix, sa manière d'exprimer les choses...
Et Robert Pattinson ?
Don DeLillo : Le personnage qu'il compose est très proche de celui du roman. Je n'ai pas vu la série Twilight, dans laquelle il joue, mais j'ai impressionné mes deux nièces de 13 ans en leur disant que le Britannique Robert Pattinson allait jouer dans un film adapté de l'un de mes livres. Elles me montrent du respect maintenant !
David Cronenberg : Le casting est un art occulte. C'est une question d'intuition. Il y a des facteurs objectifs, cela dit. Le personnage a 28 ans, il est américain. Il vous faut donc quelqu'un qui fait cet âge, et qui peut avoir un accent américain parfait. Le film est une coproduction entre la France et le Canada. Aussi, je ne pouvais utiliser qu'un seul acteur américain, et pour moi c'était Paul Giamatti. Je pouvais prendre un Britannique, en revanche.
Ensuite, bien sûr, il y a la présence de l'acteur. Qui est capable d'incarner ce personnage particulièrement complexe, cruel, brutal, vulgaire en un sens, et très sophistiqué et vulnérable en même temps, naïf et enfantin ? Ne serait-ce que pour faire croire qu'une si jeune personne peut avoir accompli tant de choses, il faut de la force et du charisme. Il est dans toutes les scènes, de surcroît. Cela ne veut pas dire qu'il doit être beau, mais il ne faut pas que ce soit déplaisant de le regarder pendant une heure et demie. En dernier lieu, il doit avoir une certaine notoriété. Dès lors que le film coûte un certain budget, il faut que vous puissiez exciter un peu vos partenaires financiers. Avec toutes ces contraintes, la liste d'acteurs est relativement courte. Et j'ai commencé à penser à Rob assez tôt.
Le roman, en un sens, est très cinématographique. Le film, lui, est très théorique, et finalement assez littéraire...
Don DeLillo : Le film m'a beaucoup impressionné. Le générique splendide, cette manière de faire entrer et sortir les acteurs de la voiture en un clin d'oeil. Et cette impression de temps accéléré. C'est une idée du livre. L'argent, c'est du temps ; l'argent détermine, même, notre perception du temps. Un autre cinéaste aurait peut-être voulu sortir certaines scènes de la limousine. Cronenberg, lui, fait le contraire. Il transpose à l'intérieur de la limousine une des scènes qui se situaient justement à l'extérieur.
La limousine est-elle à l'origine du roman ?
Don DeLillo : Il y a onze ans, quand j'ai écrit le livre, il y avait à New York beaucoup plus de limousines blanches qu'aujourd'hui. J'ai décidé de vraiment regarder cet objet, d'y penser. Qui est à l'intérieur ? Pourquoi ces véhicules ? Qu'est-ce que cela signifie ? Le roman décrit un vaste empire global de banques, de multinationales, des marchés émergents, d'énormes défaillances de marchés... Et tout cela comprimé dans une seule limousine, dans les rues de New York. C'est cela qui m'a intéressé, qui m'a donné envie de commencer le roman : l'idée de cet homme à l'intérieur de la limousine, Eric Packer, qui, depuis cet espace clos, avait accès à toute l'information en provenance du monde entier.
Une bonne partie de ce que décrit le roman est en train de se produire aujourd'hui...
David Cronenberg : La dimension prophétique du livre est glaçante. DeLillo l'a écrit en 2001. Le mouvement Occupy Wall Street a commencé pendant le tournage.
Don DeLillo : Les manifestations de Time Square ont finalement pris corps ! Les autres aspects du livre étaient déjà présents dans la culture à l'époque. Mais ils ne faisaient pas alors l'objet d'une grande attention. Il y avait un grand danger d'effondrement du marché, puis il s'est dissipé par la suite. Comme cela arrive souvent. Et quand les événements reparaissent, on ne se souvient pas forcément qu'ils ont déjà eu lieu, il y a sept, huit ou neuf ans. C'est très bizarre.
Vous sentez-vous proche de l'univers de Cronenberg ?
Don DeLillo : Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de croisements entre nos oeuvres. J'ai été surpris, du coup, d'apprendre qu'il voulait adapter un de mes romans. Il y a peut-être des exceptions, mais je ne perçois pas vraiment de sensibilité commune, de point de vue partagé, entre ses films et mes romans.
Il y a tout de même, dans "Cosmopolis", le motif de la propagation (de l'information, de la crise financière, de l'angoisse et de la violence qui en découlent...) que l'on peut rapprocher de celui du virus, souvent associé aux obsessions de Cronenberg...
Don DeLillo : C'est vrai qu'il y a de cela. Non seulement les informations sont diffusées simultanément à tous les points du globe mais, dans le livre, Eric Packer voit des choses sur son écran avant qu'elles n'aient lieu. A la toute fin du roman, il regarde sa montre et se voit déjà mort. Ce n'était pas utilisable dans le film. Mais cela renvoyait, pour moi, à l'idée d'accélération du temps.
David Cronenberg : Vivre dans un cocon, c'est vouloir se protéger des maladies. Eric Packer est obsédé par les maladies. Cette peur panique figure dans le livre. Elle se retrouve dans le film. Pendant qu'il est dans son cocon, la crise du yuan se propage. Dans le livre, c'est le yen, mais la puissance du Japon a décliné depuis, alors que celle de la Chine a explosé. Le yuan n'est pas encore convertible, mais on lit qu'en 2015 il le sera peut-être pleinement. Cela veut-il dire qu'il va supplanter le dollar et devenir la monnaie la plus forte du monde ? Les Etats-Unis déclinent, la Chine monte en puissance, personne ne sait où cela va nous entraîner. Cela engendre une grande peur, toutes sortes de degrés d'anxiété, qui se reflètent dans l'économie.
Les projections que font Eric Packer et son collaborateur à partir d'une hypothèse selon laquelle les rats pourraient devenir la nouvelle monnaie d'échange témoignent de la folie de leur système...
David Cronenberg : Oui. Car elles sont absurdes, mais pas plus que la situation dans laquelle nous vivons. Après tout, c'est nous qui avons créé l'argent, les marchés financiers. Et nous ne pouvons pas les contrôler. Comment ce que nous avons créé pour notre bien-être peut-il produire tant de dégâts ? C'est comme un monstre, une sorte de Frankenstein qu'on ne peut plus contrôler.

translation...
Only the Rob's part...
Le Monde: This way of perceiving a script can suprise coming from an author so versed in genre movies?
David Cronenberg: It is often thought that the cinema is a visual art. I think that for me, it's a more complicated combination. For me, the heart of cinema is a face that talks. It's what we film the most. I heard someone say that the last 22 minutes of the movie - where's there is only Paul Giamatti and Robert Pattinson in a room - is like theater. I don't think so. In a play, you woudln't have wide shots, movements from the camera, change of lighting. This is cinema. Without close-ups, there's no cinema.

[...]

Le Monde: And Robert Pattinson?
DonDeLillo: The character he plays is really close to the one in the book. I haven't seen Twilight, but I impressed my two 13 years old nieces when I told them the British Robert Pattinson was going to play in a movie adapted from one of my books. They respect me now!
David Cronenberg: Casting is an occult art. It's a matter of intuition. There's objectives factors tho. The character is 28, he's american. We needed someone who would look that age and that could do a perfect American accent. The movie is partnership between France and Canada. Also, I could only use one American actor and for me, it was Paul Giamatti. I could get an English actor though.
Then of course, there's the presence of the actor, he has to be able to portray a complex, crual, brutal and almost vulgar character in a way. He has to be really sophisticated and vulnerable at the same time, naiive and childish. If only to make people believe that he's capable of accomplishing so much, he needs strength and charisma. Moreover, he's in every scene. It doesn't mean he has to be handsome bu he has to be nice enough to look at for an hour and a half. And to finish, he needs to have some kind of notoriety. When a movie cost some kind of budget, you need to be able to tease your financial partners. And with all these restrictions, the list of actors you need, gets shorter. I thought about Rob pretty early on.


source:  Le Monde / RPattzClub / RPL via Pattinson Ladies

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